panopticom (08/03/24)

Il y a déjà quelques temps que l’on constate un appauvrissement de la langue sans pour autant que l’on ait dépassé ce constat.

Cela peut paraître paradoxal puis que la fonction de la langue, du langage est d’entretenir par les mots le rapport à l’autre, de se positionner, de se dire comme de dire les différences, les oppositions, l’agrément, bref de communiquer.

C’est sans doute la dérive de cette dernière fonction qui doit être mise en cause. Aujourd’hui cette même communication procède de la colonisation : elle prolifère tout azimut sur un mode terroriste et exclusif et sur des supports invasifs tels que les Smartphones. Elle ne nécessite que peu de mots : ce sont sensiblement les mêmes doublés d’émoticônes qui sont utilisés.

Il ne s’agit plus de dire, d’être face à l’autre : « Les réseaux sociaux reposent sur la viralité. Ils ne font appel qu’à ce que les linguistes nomment la «dimension phatique du langage» : on rappelle qu’on est en contact, mais on ne l’est pas vraiment. C’est une technique de confirmation de soi et une profanation de la parole. » (David Le Breton)

Le sujet est prisonnier de lui-même et ne fait rien d’autre que de renforcer ce qu’il croit être son identité sur un mode carcéral : il s’emprisonne dans le même qu’il cherche à retrouver en l’autre en le neutralisant : si l’autre approuve ce que je dis, il ne représente alors plus un obstacle à ma jouissance et ne risque pas de me mettre en danger de non reconnaissance.

Le paradoxe est là aussi qu’il ne doit pas y avoir de reconnaissance, d’identification, simplement une localisation désincarnée dite en termes de réactivité, d’immédiateté réactive et d’émission de signaux dans le vide sidéral des réseaux.

Tout le monde surveille  tout le monde, tout le monde juge tout le monde dans ce que l’on pourrait nommer un « panopticom », lequel génère une mise en écho et en boucle d’une surveillance mutuelle binaire généralisée.

Il y a plus qu’une « profanation de  la parole », il s’agit plutôt de déni, de refus de donner de la parole en ce qu’elle identifie et engage le locuteur.

Par ailleurs, et le gouvernement ne s’y est pas trompé, communiquer se suffit à lui même et n’engage plus en rien, voire même déresponsabilise et permet de passer rapidement à autre chose, même s’il s’agit d’une opinion diamétralement opposée. Les membres de ce gouvernement usent et abusent des réseaux sociaux en orchestrant les éléments de leur vie privée, manière paradoxale de se mettre à leur tour hors d’atteinte tout en étant  pourtant si « proches ».

Veiller à la richesse des échanges verbaux permettrait sans doute de résister à cette contamination ; ainsi faudrait-il se risquer à la conversation, à l’argumentaire, à la poésie du langage (poésie entendue comme étendue de ce qu’il reste à faire, à dire et parfois à taire), prendre le temps de l’écoute, du regard, de la présence, fréquenter et dire l’art. Faudrait-il encore pour cela faire le choix de s’en donner le temps.

Amis des Smartphones, je vous salue bien bas.

Marc Bozec



08/03/2024
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 13 autres membres