L'image comme mise en scène et caution (25/03/12)

Les récents évènements qui ont eu lieu à Toulouse ravivent un questionnement sur le rapport à l’image.

Des images, il y a celles dont les médias nous ont abreuvés, mises en boucle, et des images, il y a celles de la mise en scène par l’assassin de ses propres crimes.

Si les premières ont été accessibles à tous, il s’en fallut de peu que les secondes ne soient mises en ligne.

Le choix et la nature des unes et des autres donnent à lire et à interroger leur statut dans notre société.

 

L’image, telle qu’elle est mise en valeur, donnée à voir, passe aujourd’hui par l’écran. Il y a toujours quelque chose qui fait écran et qui perturbe le point de vue. L’écran a un pouvoir hypnotique qui entame la capacité critique et la mise à distance. Il focalise l’attention jusqu’à la saturation au point que l’image fige l’observateur et désarme toute forme de lecture distanciée. Il y a une forme de sidération par l’image doublée d’une absorption fatale du regard : ce n’est plus l’image que l’on lit, et qui nous lit, c’est un espace fusionnel dans lequel  le regard se perd. Cette sidération procède sans doute de ce qu’elle propose un dédoublement de la réalité, la déréalise en s’y superposant. Ainsi, elle met à distance de soi, par une forme d’anesthésie de la conscience de soi, comme elle met à distance de la réalité en générant du fusionnel. D’où la séduction qu’elle opère.

 

Les médias jouent de cette séduction jusqu’à saturation. La profusion d’images, jusqu’à l’obscénité, produit une déperdition du sens au profit d’une hyper sollicitation, d’une excitation, qui se déclinent de préférence sur le registre émotionnel. L’image, la mise en images (et particulièrement les vidéos) en appellent à une sorte d’empathie séquentielle, empathie volatile ; une empathie de l’immédiateté conjuguée à une forme de voyeurisme. Elle met paradoxalement à distance tout en provoquant le sentiment d’une présence virtuelle qui met en difficulté toute forme de recul. Il s’agit de consommer et de faire consommer de l’image.

 

A titre individuel, le rapport entre celui qui produit, met en ligne de l’image est tout autre. Ce qui est mis en scène, c’est le fragment, et par le fragment, la demande d’un cautionnement.

Les images, ici la vidéo, font plus alors que représenter : elles extraient le fragment donné à voir de la réalité de l’émetteur. S’il est identifiable, reconnaissable, ce que livre les images, c’est ce qui relève paradoxalement d’un tout forclos avec lequel aucune interaction n’est possible. La seule option possible est de l’accepter comme tel, et de le partager dans un réseau.

 Ce fragment paradoxal, puisqu’il aspire au tout, est le tout, s’avère être une caution que donne l’image : il ne peut être récusé, il est en tant que dédoublement du réel et en tant que preuve irréfutable d’une immédiateté saisie définitivement.

 

Filmer ses crimes, c’est viser à une forme d’éternité morbide et irrévocable, c’est accéder au rang du sanctifié ; le temps ne peut avoir de prise, le fragment est hors du temps et le crime est perpétué à l’infini. La caution est là qui valide le geste extrait du réel, qui le confirme tout en l’extrayant de toute intervention possible.

 Par cette hyper réalisation, le meurtrier se déréalise lui aussi en tant qu’entité indivisible, en tant qu’individu : il est sa propre référence et interdit toute intervention, toute identification. Il n’est identifié que dans les limites du fragment. Et cela, même si a été revendiqué un acte politique et religieux (ici terroriste). Il est réduit à ce qu’il veut montrer, à la mise en scène d’un fragment qui a prétention à la vérité. En cela il peut accéder à une part de son délire, à savoir l’éternité paradisiaque d’un assassin en gloire.

 

Et il est fort à parier que ses images ne seront pas détruites, qu’elles seront archivées et qu’elles pourront ainsi continuer à jouer  (en puissance) de la fascination morbide. Au moins n’auront-elles pas été mises en lignes !

 

La question que l’on peut se poser, en écartant l’idée de l’édification, c’est pourquoi nous a-t-on informés de leur existence ?

 

Marc Bozec.



25/03/2012
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 13 autres membres