homo confinus (29/04/21)

Dans une récente correspondance, Pierrick Hamelin me rapportait un entretien avec Claude Brilland au cours duquel ils s’étaient « amusés », après avoir parlé de Philippe Muray et de son homo festivus, à définir le concept « d’homo confinus », « emmuré à vie, tel un moine, dans un inclusorium », pour reprendre les paroles de Pierrick.

 

Devant ce concept d’un sujet voué à une vie insensée et plus que jamais face et à l’étrangeté du monde et à la sienne propre, à l’absurde de certaines situations et surtout face au reflet de lui-même, je me suis pris à repenser à Camus et à son analyse du mythe de Sisyphe. A l’instar de ce dernier, l’homo confinus est-il heureux ?

 

Vous me direz que le héros grec, si on écoute Camus, est heureux parce que libre, même dans le tragique : « Son destin lui appartient. Son rocher est sa chose », aussi est-il libre, ce à condition de ne pas avoir conscience de ce qu’il est.

 

En ce qui concerne le second, je me demande s’il n’éprouve pas une sorte de jouissance tue et paradoxale à être confiné. Le voilà en mesure d’exprimer la plainte, de brandir  le victimat, de se réclamer de l’autre festif auquel il aspire autant qu’il en orchestrait l’expulsion en le « mêmifiant » à l’envi.

 

Il va de soi qu’il est pour partie frustré du tout à jouir de notre société incestuelle, mais il n’échappe pas à l’excitation permanente qui fait vibrer le monde et dont on trouve un écho dans tous les propos de nos politiques et dans les trop nombreux « relais » des réseaux de « communication ». Il reste sur le qui vive, chosifié dans la position du tout réactif pour échapper sans doute au réflexif : il n’est pas question pour lui de fléchir le réel, mais plutôt d’en infléchir son double à son profit, hors bien sur de toute forme de référence symbolique, mais dans une adhésion sans équivoque, à la manière des espèces mimétiques, pour être semblable à l‘autre et donc indiscernable.

 

 Il fait « masse » et c’est la machine qui fait le lien, qui partage les données et qui lui permet de se laisser absorber par les écrans. Il est somme toute fidèle à l’idée qu’il a de lui-même sans avoir l’inconvénient de devoir être lui-même :il est authentique et il est confiné et est en cela proche de lui-même comme il en est aux antipodes ; il  aborde les limites, les confins de l’être-à-l’autre, tout en s’éloignant des autres.

 

Il reste quoi qu’il en soit en orbite dans son propre shaker  pulsionnel. Son bonheur, il le doit au fait d’être confiné par la force des choses, le pire qu’il puisse lui arriver serait le sentiment d’être confiné en lui-même… Alors, le confinement lui appartient, sa réclusion est sa chose ? Somme toute est-il heureux ? Dans une perspective existentialiste, sans doute, mais par ailleurs ?

 

Ce qui est révélateur, c’est l’orchestration du confinement par le gouvernement : somme toute, soyez sage et maman ne manquera pas de vous récompenser, ou pour le moins de faire l’annonce de la récompense : et oui, à la manière du Sar Rabindranath Duval, « elle peut le faire » et pas qu’un peu, et ne manque pas de jouer de l’effet d’annonce…

 

L’homo confinus est hanté par son ancien statut d’homo festivus : il en attend la résurrection sur un mode hallucinatoire avec dans l’idée impossible de le réactiver. Cet homo festivus étant déjà une forme avancée de disparition, un cul de sac consommatoire, on peut se demander de quoi confinus sera la ponctuation…

Marc Bozec.



29/04/2021
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