Eduquer...

Si je me détermine, si je revendique un quant à soi, une unité, je deviens identifiable et risque de me perdre en étant immédiatement catalogué, voire traité de réactionnaire passéiste rigide. Ce genre de réaction peut aisément se lire dans les regards réprobateurs et assassins sitôt que l’on se réclame d’une éthique et qu’on a prétention à vouloir interroger les présupposés d’une de ces idées fulgurantes qui font l’unanimité. Essayez donc de vous inscrire en porte à faux face aux idées du moment…

Il semblerait même que plus elles sont fulgurantes et inscrites dans une temporalité restreinte, plus elles ont de succès.

         Il s’agit de faire jouer un pouvoir pulsionnel immédiat auquel il n’est pas de réponse à donner : la pulsion se reçoit alors de plein fouet et ne s’adresse plus en rien à la raison. Elle prend le pouvoir immédiatement, à la manière d’un coup d’état (ou coup d’éclat) face auquel elle cherche à nous faire réagir sur le même registre, celui de la consommation immédiate.

         Ce qui complique les données, c’est cette indétermination. Elle fait écho au fait que plus rien de ce qui procède de l’autre ne peut faire autorité puisque tout se vaut ou à défaut que tout peut et doit s’évaluer, même ce que l’on définissait auparavant comme la compétence.

         Cette même compétence est envisagée au présent et ne saurait avoir de valeur à posteriori : nous entrerons dans la carrière quand nos aînés y sont encore et tant mieux si on les en expulse…

          L’expérience a mauvaise presse dans une société qui sacralise le présent ! Et que dire de la transmission de savoir être, des savoir faire, si ce n’est qu’elle risque de générer un trauma irrémédiable particulièrement chez des êtres en puissance (et je pèse mes mots) que sont les enfants.

         L’enfance est en passe d’être considérée comme la « nouvelle frontière », sorte de no man’s land, espace de tous les possibles débridés. Ce n’est plus un espace-temps transitoire qui conduirait à l’âge adulte, mais un formidable réservoir sans limites à poser : l’adulte valant l’enfant, pourquoi ce dernier chercherait-il à grandir puisque sans avoir à la faire, il est en passe de pouvoir prétendre aux pleins pouvoirs ?

         Il est amusant de noter que d’aucuns poussent la bêtise jusqu’à vouloir « libérer » l’enfant, de quoi, on se le demande : de son propre statut ? Du « carquant éducatif » qui le priverait du « bien consommer » ?  De lui-même ? De son humanité ?

         Bon nombre d’adultes, en proie à quelque pulsion narcissique déviante en sont arrivés même à craindre de s’opposer à leurs propres enfants…

         Et de plus, si tout se vaut, à quoi bon les limites que suggère la notion de valeur (en ce qu’elle est intentionnalité et désir) ? Plus le temps. Le désir doit être satisfait dans l’instant et ne saurait souffrir le moindre retard la moindre contradiction.

         Consommons, consommons, jouissons sans attendre, tels sont les maîtres mots.

         Jouissons aussi de l’autre comme objet (cette notion est particulièrement bien explicitée dans le livre de Dany Robert Dufour « la cité perverse »).

         On pourrait ajouter à cela : bannissons toute unité et fragmentons, puisque l’unité est un obstacle à la jouissance parce que trop complexe, et ayant trop intégré l’interdit.

         Les fragments, indépendants, presque « a-historiques », peuvent eux seuls avoir prétention à l’immédiateté et s’extraire de toute forme de jugements qu’ils soient prononcés par autrui ou intégrés sur le principe de cette bonne vieille névrose qui somme toute nous fait particulièrement être humains…

         La fragmentation comme réponse à la conscience, à l’autre, à la culture, à l’eidos (défini comme la réserve, la pudeur, la protection nécessaire face à l’autre) devenus surnuméraires et obsolètes.

         A qui bon alors le souci de l’autre et la pudeur ?

         Et que dire de la vertu, en ce qu’elle est entre autre capacité à se déterminer pour agir ?

         Encore faut-il pouvoir se déterminer, et pour cela, opérer un choix éthique, et défendre un quant à soi. Cette démarche induit des convictions et une capacité à pouvoir s’engager et surtout à vouloir s’engager, à ne pas craindre de s’exposer,

         De manière plus simple à se donner les moyens d’une ligne de conduite. J’exclus, bien sûr, toute forme de sclérose comportementale.

         Sur le registre éducatif, la difficulté est grande : en effet, on ne laisse guère de marge de manœuvre aux enseignants. Quant aux parents, la tendance est plutôt à la démission du rôle éducatif. Les premiers doivent faire face à une technicisation accrue et excessive du métier (relayée par une « évaluationnite aiguë") doublée d’un manque de reconnaissance, les seconds ont à faire avec leurs propres pulsions dont ils orchestrent la mise en phase avec celles de leur progéniture. A cela, il faut rajouter la peur qu’ils ont de ne pas être aimés…

         Ce que propose la société relève de la pure fragmentation : sous couvert de la science, elle instrumentalise des pratiques qui relèvent de la prestation de service à tout va.

 



17/03/2012
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