Education-Négociation

Le terme « négocier » est devenu d'un usage très courant pour évoquer nombre de situations de la vie familiale impliquant une prise de décision des parents par rapport à leurs enfants.

 

Et, déjà, en rapprochant « négociation » et « décision », on se rend bien compte d'un glissement ; s'agit-il d'une décision autonome des parents, d'une décision commune ? D'un compromis ? Etc... Y a-t-il eu vraiment décision de l'adulte ?

 

 

Le terme a du succès. Parce qu'il est à la mode mais pas seulement. Il semble bien qu'il exprime une sorte d'idéal de l'éducation contemporaine : la négociation est la meilleure chose à faire, tout résultat doit être négocié, négocier c'est rompre avec d'anciens usages consistant à imposer. On sent bien que la négociation ne désigne pas seulement une manière de faire, une technique de la relation parents-enfants, mais qu'elle accomplit semble-t-il un progrès définitif dans la manière d'éduquer. C'est un mode compréhensif, intelligent d'éduquer.

 

Interrogeons-nous brièvement sur cette nouveauté. Est-ce une façon plus ouverte, plus fréquente de  pratiquer, ce qui au fond a toujours existé depuis que les parents doivent faire face à certaines demandes de leurs enfants ? Cela révèle-t-il une transformation beaucoup plus profonde ? S'agit-il d'un ajustement moderne de l'éducation (davantage de souplesse, une meilleure compréhension de ce qui se passe, une vision plus exigeante du développement des enfants) ou bien sommes nous en train de bouleverser un mode d'organisation, un système de places qui avait, de longue tradition, configuré les rôles respectif ?

 

Demandons-nous aussi, et peut-être d'abord, si la négociation entre adultes et enfants aurait un rapport avec les négociations qui ont lieu de façon courante dans le champ social. Par exemple entre l'état et ses fonctionnaires, entre les salariés et les employeurs, entre des partis politiques pour conclure des alliances, entre états pour conclure un traité ou éviter un conflit.

Il est utile de se demander si c'est bien la même chose. Si on poursuit bien les mêmes buts dans les deux cas et si les « partenaires » de la négociation sont comparables. Il faut se poser ces questions sinon on aboutira à des formules telles que « tout  se négocie », « il faut négocier en toutes situations », « la négociation est la meilleure façon de régler les rapports entre humains », etc...

 

On peut craindre que le prestige actuel du mot soit tel que finalement on l'utilise un peu n'importe comment et même hors de son champ d'application. Entre parents et enfants, enseignants et élèves, peut-il vraiment s'agir de négociation ? Sommes-nous à égalité de part et d'autre pour pouvoir négocier ? Les responsabilités sont-elles de même nature et au même niveau de part et d'autre ?

On peut illustrer notre questionnement par une proposition amusante. Essayons de nous demander dans le cas d'une « négociation sociale » qui est le parent et qui est l'enfant ? Même chose en ce qui concerne par exemple Israël et les palestiniens ou les États-Unis et la Chine. Cet exercice sera peut-être qualifié de ridicule et de provocateur. N'empêche qu'il a le mérite de faire ressortir une radicale différence entre deux mondes : celui où se trouvent des adultes et des enfants et celui des tractations sociales.

 

Cela doit au moins nous amener à reconnaître que si l'on parle de négociations entre parents et enfants ce serait plutôt « une façon de dire » mais que nous ne sommes pas « au fond » dans une négociation « pour de vrai »; Le mot négociation constituerait alors une formule expressive visant par exemple à dire que dans telle situation « ce n'était pas facile » ou qu'il a fallu prendre du temps ou encore que des concessions imprévues ont été consenties, etc... Alors, en parlant de cette façon, nous resterions tout de même dans la configuration traditionnelle qui fait que les adultes, tout en conservant les obligations et les prérogatives de leur place, ne se montrent ni expéditifs, ni brutaux.

 

Si ce n'était pas le cas et si on optait pour une véritable conception négociée en éducation, nous serions alors en rupture avec la dissymétrie des places, en rupture également avec la finalité de l'éducation. Laquelle ne consiste nullement à trouver un accord mais à conduire l'enfant à l'état d' adulte. Dans cette hypothèse, il est indispensable d'alerter les partisans de la négociation en éducation de certains inconvénients qu'ils ne manqueront pas de rencontrer.  

 

« L'enfer est pavé de bonnes intentions » dit la sagesse populaire qui sait depuis toujours que les projets les plus sympathiques peuvent se retourner en résultats inquiétants et faire subir des dangers imprévus. Nous allons donc tout de suite signaler limites, risques, effets pervers d'une stratégie éducative idéaliste.

 

Voici la série des dangers que fait surgir inévitablement cette conception irréaliste de l'éducation.

 

            1/ L'illusion du soulagement à court terme : négocier met fin rapidement à la situation qui embarrasse l'adulte. Il a l'impression de gagner du temps et de s'épargner de la fatigue. Pourtant il prépare déjà le retour de négociations plus nombreuses alors qu'un refus net ou des limites fermes auraient amené l'enfant à arrêter pour un bon moment ses revendications.

 

            2/ L'adulte n'est pas maître du rapport de force dans la négociation : il a le sentiment qu'il sera la négociateur le plus habile, espérant par là retrouver la position dominante qu'il fait semblant d'abandonner. Pourtant rien ne dit qu'il aura le dessus. La négociation met en place un rapport de force à un moment donné. L'enfant très obstiné, l'adolescent plein d'énergie peuvent l'emporter sur un parent fatigué, peu sûr de ses arguments. Le dernier peut être mauvais stratège et, pourquoi pas, bien moins intelligent ou moins volontaire que son enfant!

 

            3/ La négociation ramène la relation adulte-enfant à une succession de moments présents, voire à une négociation permanente. L'éducation présuppose un passé, une antériorité à laquelle on se réfère pour prendre des décisions. La loi pré-existe en effet à toutes les décisions qu'elle engendre. On peut dire aussi: négocier c'est refaire la loi à chaque moment.

 

            4/ Les résultats de la négociation ont un caractère fragile et précaire. Faute de principes auxquels on peut s'adosser, l'enfant et l'adolescent peuvent estimer que les résultats n'ont pas valeur d'obligations.

 

            5/ En plaçant enfant et parents à égalité, la négociation peut, contre toutes les apparences, fragiliser un enfant. Une courte mise au point théorique s'impose ici. L'autorité dite « naturelle » de l'adulte se justifie surtout par l'immaturité provisoire de l'enfant. La dissymétrie est consécutive de la relation. La mettre en cause pour instaurer une égalité revient à placer l'enfant devant des responsabilités qu'il n'est pas capable d'assumer.  Alors il va faire semblant, ou prendre peur, ou « dire des bêtises ». Peut-être même s'angoisser et cacher cela par des surenchères. Contre toute vision naïve, la négociation peut mettre l'enfant en difficulté psychique.

 

            6/ En éducation une solution bien négociée peut être mauvaise sur le fond. Négociation n'est pas équivalent de vérité. On obtient un compromis, une demi- mesure, c'est vrai et dans certains cas, mis à part le fait que l'adulte n'a pas tenu sa place, la solution trouvée n'est pas mauvaise. Prenons l'exemple des sorties nocturnes : dans certaines conditions et à un certain âge, la réponse est « non ». Accepter que ce soit moitié moins souvent que ce que demande l'adolescent, c'est entériner une très mauvaise solution. Ainsi, face à des revendications impliquant une liberté que tel enfant n'est pas capable d'assumer, la négociation, si élaborée soit-elle, demeure une mauvaise démarche.

 

 En définitive la prudence s'impose quant au sens à donner au mot « négocier » dès qu'il s'agit du domaine éducatif. Si ce mot vient rappeler que l'intervention de l'adulte ne gagne rien dans la brutalité ou la rigidité, pourquoi pas , Encore qu'il y ait bien des manières efficaces de nommer la pratique de la nuance et de la souplesse dans ce cas.

Par contre si ce terme vient indiquer l'effacement des places, donc de la responsabilité de l'éducateur, s'il inaugure une relation égalitaire entre enfants et parents, enseignants et élèves, il implique tout simplement la liquidation du processus éducatif. De plus, comme on vient de le suggérer, le risque est très élevé pour l'adulte, en entrant dans le rapport de forces, de tenir la place de l'otage : une forme parmi d'autres du « parent battu ».

 

Claude Brilland. ( Responsable de Association pour l'Analyse des Pratiques Institutionnelles à l'Ecole)

 

 



19/03/2012
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