Du Mal (03/07/22)

Il y a bien des années de cela, Jean Baudrillard titrait un de ses ouvrages « la transparence du Mal ». Toujours avec un temps d’avance, il avait pressenti et analysé le phénomène.

 

Aujourd’hui, plus que jamais, le Mal est à ce point transparent qu’il n’est même plus identifié en tant que tel : ses manifestations sont « factualisées », banalisées et nourrissent en abondance les séquences d’information, qu’elles soient télévisuelles, écrites ou portées sur les réseaux sociaux. Le Mal est insidieux, autoréférencé, et il n’a même plus besoin de s’opposer au bien pour gagner en viralité, en contagiosité.

 

A force de vouloir tout positiver, de bannir le négatif de notre quotidien, on a ouvert la porte à l’univoque : mais, encore une fois, il ne peut y avoir de positif sans l’existence du négatif. C’est ainsi et il faudrait s’y faire. Cependant, il peut y avoir du Mal sans pour autant qu’il y ait du  Bien.

 

On le voit à l’œuvre dans la guerre qui sévit en Ukraine : il procède sous forme de surenchère exponentielle tant du côté des assaillants que de ceux qui soutiennent  les ukrainiens. D’un côté on assassine, on pille, on torture et on viole en toute impunité et de l’autre on fait monter les enchères en armement et en négociations à peine déguisées. En fin de compte, il s’est nourri de l’aspect diabolique du commerce international et on voit avec quelles difficultés de nombreux pays ont peiné, et peinent encore à s’extraire de la sphère commerciale russe, laquelle semble tentaculaire.

 

Et c’est bien là qu’il est, dans le souffle diabolique ultra libéral qui anime les échanges commerciaux internationaux. Et c’est bien là qu’il est, dans l’incapacité des démocraties à l’éradiquer tant elles s’en sont elles-mêmes imprégnées sous couvert de la sacro sainte croissance économique et de la liberté d’entreprise. Il a ainsi procédé par immersion et s’est plu à se grimer en Bien pour donner le change. Il s’avère qu’une bonne partie de l’économie mondiale repose aujourd’hui plus que jamais sur le Mal. Il devient complexe d’en distinguer les formes, les tenants et les aboutissants tant nous en sommes imprégnés dans notre quotidien de consommateur,  y compris de consommateur de soi.

 

 « La violence de l’identique est invisible en raison de sa positivité. (…)Ce qui est responsable de l’infection, c’est la négativité de l’autre qui pénètre dans le même et débouche sur la formation d’anticorps » ( Byung-Chul Han in « l’expulsion de l’autre »).

 

Il en va de même du Mal : de sa négation, ou à défaut du non vouloir voir, identifier, on débouche sur sa prolifération infectieuse.

 

Le  Mal est l’expression même de la souffrance et de l’annihilation de l’humain, le contraire de la vertu comme « volonté de puissance ». Entendons le mot « vertu » comme « ce qui fait l’humain ou plutôt la puissance spécifique qu’il a d’affirmer son excellence propre, c'est-à-dire son humanité » (André Comte-Sponville).

 

C’est peut-être là qu’est la clé d’une possible lecture, d’une possible prise de conscience : à savoir apprendre à se voir autrement que comme un produit de soi pour soi et en prenant plus en compte la nécessité de l’Autre comme constituant et limite salutaire de soi. En somme sortir de la tyrannie du même .En faisant aussi preuve de détachement, d’humour et de poésie. Jouer le Mal contre le Mal ne sert à rien, et user du convenu comme langage ou comme mode d’investigation pour le confondre semble voué à l’échec, ce d’autant qu’il participe allègrement de ce mode.

 

Marc Bozec.



03/07/2022
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