Commentaire de M Brilland : évaluation et éducation scolaire

Au fil du texte on retrouve, pour ceux qui sont familiarisés avec les préoccupations actuelles des enseignants, l’expression de la lassitude et de l’incompréhension qu’ils éprouvent devant les orientations incohérentes et superficielles qui dénaturent leur identité professionnelle.

Au-delà de cette réaction ce texte participe à la mise au point des conditions d’une bonne pratique de l’évaluation, notamment à l’école primaire. Il replace de façon utile la frénésie évaluative et ses modèles technocratiques dans le cadre plus large d’une société très mal assurée sur les finalités de l’éducation scolaire. Un autre mérite de cette approche réside dans la considération simultanée de l’élève et de l’enseignant, chacun d’eux sortant perdant de cette instrumentalisation.

 

Partageant d’emblée les préoccupations qu’il formule et approuvant la démarche globale de sa réflexion humaniste, nous nous bornerons à accrocher sur son développement quelques réactions qui trouvent leur source dans notre expérience de formation des enseignants.

Parlons en premier lieu de la scolarité primaire pour effectuer un rappel essentiel : nous avons à faire avec des enfants jeunes, débutant puis consolidant leur métier d’élève et dans la phase la plus importante de la construction de leur personnalité. Ce seul constat, non réfutable, devrait déjà inspirer de la prudence quant aux buts de l’évaluation. Quoi qu’on fasse, le regard enseignant ne peut être dissocié d’une attitude d’adulte éducateur. Ce qui contraint de fait l’évaluation à un aspect global (qui n’est pas synonyme de flou ou d’approximatif) mais qui implique une prise en compte synthétique et dynamique comme le souligne M. Bozec.

Il devrait sauter aux yeux de tous que les apprentissages effectués dans ce segment du développement et de l’intégration sociale ne peuvent ni se morceler ni se réduire à des « compétences », « capacités », « performances », bref toutes sortes d’éléments fractionnés et isolés que pourtant l’évaluation moderne s’obstine à détailler de façon parfois maniaque.

 

 

Arrêtons-nous ensuite, en reprenant une formule de M. Bozec, sur le « principe de réalité ». A regarder les constructions de plus en plus monumentales que veut nous imposer les doctrines à la mode, notre attention est attirée par leur côté hypertrophique, dé-réalisant, surtout quand on a quelque idée de la nature constante, vivante et intersubjective du lien qui unit chaque élève à son enseignant dans une clase de l’école primaire. Car enfin, ils vivent et s’activant ensemble toute la journée pendant une année scolaire. C’est comme si on disait à l’enseignant qu’il ne connaît pas ses élève, ne les voyait pas, et que pour s’en faire une idée, il lui fallait se sur-équiper de cet appareil imposant et surtout le manier-en continu. Le principe de réalité de l’enseignement, c’est d’abord une présence constante de l’enseignant aux élèves, des élèves aux objets de l’apprentissage ainsi qu’aux autres.

 

Concernant les évaluations d’impact national, on les justifie souvent d’une utilité pour faire évoluer les politiques éducatives (pilotage dit-on). Sauf à tomber dans la dévotion pour nos dirigeants, on ne voit pas par quelle opération magique l’école pourrait se hisser à une quelconque perfection par la seule interprétation des résultats collectés de tous ses élèves. Déni de réalité là aussi, à moins qu’il ne s’agisse, démarche perverse, de se désintéresser de tout projet politique national en plaçant les enseignants, élèves et résultats dans une boucle sans ouverture : « Débrouillez-vous avec vos constats ». Cela ressemblerait bien aux calculs du management moderne.

 

Revenons maintenant sur le caractère pointilleux, maniériste et ultra-technique du mode évaluatif préconisé maintenant. On s’accorde souvent pour déplorer son aspect sec, sa manie de découper l’activité scolaire en segments microscopiques, mais insiste-t-on assez sur la réduction aussi bien de l’élève que de son travail qui est ici opérée ? Sur ce que la philosophie appellerait la réification, autrement dit la considération de l’élève comme chose.

Cette tendance à objectiver, au-delà du bon sens, l’élève et son œuvre surprend dans la contradiction qu’elle offre avec un tout autre énoncé de la doctrine éducative moderne qui proclame l’autonomie de l’élève, exalte sa liberté et sa « créativité » ainsi que son droit à « l’auto-évaluation » ?

 

Nous n‘envisageons pas ici de soutenir ces illusions qui dotent à-priori un enfant de ce que l’éducation lui apprend (plus ou moins), mais ce n’est pas sans sourire que nous soulignons l’empressement de nos experts à faire peser sur un élève crédité de toutes les aptitudes (innées ?) à se repérer, le lourd appareil d’une évaluation totalisante aussi bien qu’intrusive. Au fond, la capacité de nos élèves à se repérer, nos doctes en éducation n’y croient pas du tout mais il est beau de faire semblant. Ils ont d’ailleurs tort de sous-estimer chez les élèves cette aptitude construite progressivement mais très imparfaite et relative. Inversement, ils surestiment à coup sûr le bénéfice que peut extraire l’enfant de trois à douze ans qui fréquente notre école de cette abondance de cotations. Les enfants de cet âge ne sont capables d’exploiter que des repères peu nombreux concernant les qualités et les défauts de leur travail, mais surtout, leur dépendance à l’adulte, leur immaturité (au sens non péjoratif de ce mot) les place dans l’attente d’une autre forme d’intervention de l’adulte enseignant.

Sans doute M. Bozec pense-t-il à cet aspect lorsqu’il mentionne l’angoisse et l’insécurité ou encore la solitude de l’évalué.

 

Pour achever notre propos, on pourrait, dans le fil du texte de M. Bozec, faire une hypothèse quant à la fonction occupée par cette évaluation technique dans le cadre d’une évolution vers la dé-personnalisation de la transmission.

 

Certains experts-managers ne cachent pas leur projet de placer les élèves, sinon totalement, du moins pour une durée croissante, devant des machines. L’ordinateur est profilé à l’horizon moderne comme super-éducateur. Dans cette perspective, le mode éducatif machinique qui nous contrarie tant, nous autres praticiens, mais que nos cadres nous font passer en force, constitue une étape vers la liquidation de la transmission humaniste. Reste à savoir quel en serait le coût financier, mais en terme de construction humaine et de capacité sociale.

L’affaire est intéressante à suivre car il faut s’attendre à l’éclosion de nouveaux symptômes d’inadaptation scolaire et d’échecs dans les apprentissages. Les anciennes formes d’échec nous ont tracassé (et sont toujours d’actualité) mais quand on s’apercevra que le petit humain garde tout son pouvoir de mettre en échec la machine parce qu’il a flairé que l’adulte démissionnaire s’est caché derrière, alors là, on ne va pas s’ennuyer !

 

Claude Brilland. ( Association pour l’analyse des pratiques institutionnelles à l’Ecole, aapie.free.fr)



25/04/2012
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