Le temps de la fragmentation (01/07/12)

Nous entretenons un rapport au temps qui est des plus paradoxal. S’il est l’expression du champ des possibles à réaliser, sorte d’amphore vide et avide de tous les contenus, il est aussi l’impératif mesuré de ces réalisations, l’expression de leur limite.

Il faut ainsi que les choses soient faites à temps, dans les temps( ?), et par ailleurs, il faut réussir à prendre son temps…

 

Il y a ainsi un temps institutionnalisé et un temps personnel, perçus comme différents, voire antagonistes.

S’il y a hyper compression du temps institutionnalisé, dans la perception et le vécu que nous en avons, il y a aussi en retour, comme par compensation, une hyper compression du temps personnel.

 

Face à cette perception du temps, des temps, c’est encore une fois la fragmentation qui s’impose.

Face à la séquencialisation trépidante du temps social (et pour la plus grande partie, celui du travail, mais aussi celui du loisir), il y a fragmentation comportementale. Chaque fragment social mobilise à plein toute les capacités de l’individu avec un degré d’exigence optimal d’engagement et de présence, et cela sans retour autre que l’annonce du même à réinvestir dans l’instant à venir.

 

La vie professionnelle s’apparente-t-elle ainsi à un gigantesque puzzle  dont il faut à chaque instant redéfinir le contour des pièces dans l’espoir vain qu’elles s’ajustent entre elle et forment un jour un tout cohérent.

 

La part de la vie « personnelle » est elle aussi contaminée par l’excès de la fragmentation. On est tenté de tout fragmenter pour mieux « défragmenter » : on découpe alors ce temps « personnel »en fragments autonomes dont on aspire à ce qu’ils soient hyper concentrés, qu’ils soient les absorbeurs d’une totalité impossible, d’une présence tout azimut au monde, d’une jouissance exponentielle, dans l’instant.

Et là, pas d’unité, mais une hyper concentration dans et sur l’instant. Cela, comme s’il était possible de le charger de la totalité de nos désirs et de nos réalisations possibles.

 

Chaque fragment se comporte comme un trou noir dans l’espace : il absorbe sans jamais atteindre la saturation, ne serait-ce que parce qu’un autre fragment, celui de l’autre ou celui du social, se comporte de la même manière. Et, ce qui est absorbé ne sera jamais restitué…

 

Ainsi, de fragment en fragment, on disparaît un peu plus à soi, avec l’espoir impossible de se réaliser comme totalité indivis. La fuite est totale et sans appel.

Reste qu’entre les fragments, il y a le possible du vide, et que c’est peut-être là qu’est notre essence, voire notre espoir, et que se réaffirme notre finitude quand par le fragment on feint de croire à notre finalité.

La fragmentation, qui procède de l’excès, a quelque chose de radical et de fatal. Elle joue d’une forme de séduction dont le fondement est une sorte de volonté de puissance ambivalente : elle nous promet l’avènement d’un « surindividu » alors qu’elle ne nous livre que les éclats fugitifs d’un miroir brisé.

L’éclat est cependant tel que l’on s’étourdit à s’y percevoir en gloire.

Peut-être assiste-t-on à une volonté de fragmenter le fragment, et le fragment du fragment jusqu’à dilution infinitésimale. Il demeurera toujours du fragment et encore plus de fragments ! La fragmentation serait-elle une entreprise de nettoyage vouée à la disparition de l’individu, au profit d’un sujet dont le but serait de disparaître ?

 

Marc Bozec.



01/07/2012
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 13 autres membres