Fragmentation et psychanalyse(22/04/12)

 

Lors d’une récente discussion, un de mes amis a évoqué la psychanalyse comme cause possible de  la fragmentation. Son argument reposait sur le fait que la pratique de la psychanalyse est une pratique intrusive qui relève presque de l’inquisitorial et qu’elle force l’individu à se fragmenter, en réaction.

 

L’argument est des plus pertinents mais j’y apporterais une certaine réserve : il me semble que le processus de fragmentation était déjà « activé » lorsque la psychanalyse a commencé à être pratiquée. Elle prit le relais de la confession et de la direction de conscience pratiquée par les jésuites casuistes.

 

La renaissance fit de l’Homme le centre du monde, et il devint peu à peu l’objet d’un questionnement et d’une investigation. Lorsqu’une bonne partie du monde est découverte, l’homme devient en quelque sorte la terra incognita à arpenter à grand renfort de principe de causalité (lire à ce sujet « objectif corps » écrit en collaboration avec Pierrick Hamelin).

 

Ce qui est étudié alors chez l’Homme préfigure la fragmentation et l’édifice de l’individu à peine esquissé commence déjà à se lézarder.

L’homme est morcelé, disséqué, on traque en lui les ressorts de ce que qui l’anime, on analyse son désir, son rapport au monde, sa capacité ou son incapacité à la liberté.

Déjà on le fragmente en posant les bases de la normalité (et de l’anormalité) et on le force déjà à se regarder dans le miroir du social quand auparavant il n’était question pour lui que de n’appartenir à un groupe sociétal.

 

En même temps que se dessine l’individu, il commence imperceptiblement à se fragmenter par retour induit et fatal sur lui-même.

Pour en revenir à la psychanalyse, elle ne fit que « cartographier » le mal-être de l’Homme et mit à jour l’existence de  mythologies individuelles et sociétales. Elle fit que l’on plaça des mots sur la douleur, et que sans doute on commença par trop à psychologiser l’être au monde.

 

La porte était ouverte à l’idée que l’on puisse être analysé à tout moment. Le retour de bâton ne s’est pas fait attendre qui a placé l’individu comme victime et plaignant.

 

Pour encore citer Jean Baudrillard (dont la pertinence des analyses continue de me séduire) : « Toute transparence pose immédiatement la question de son contraire, le secret(…).Lorsque tout tend à passer du côté du visible, comme c’est le cas dans notre univers, que deviennent les choses jadis secrète ? Elles deviennent occultes, clandestines, maléfiques : ce qui était simplement secret, c'est-à-dire donné à s’échanger dans le secret, devient le mal et doit être aboli, exterminé. » (in « Mots de passe »)

 

Face à la lisibilité de toute chose, les fragments sont alors un moyen de défense. Les pathologies rencontrées aujourd’hui par les psychiatres sont le plus souvent des pathologies narcissiques quand la névrose faisait jadis se remplir les cabinets de consultation.

 

Pour en revenir enfin sur le rapport entre psychanalyse et fragmentation, il me semble que ce sont deux phénomènes concomitants qui marquent l’histoire de l’individu. Que la psychanalyse ait servi de révélateur, de catalyseur, certes, mais qu’elle soit totalement à l’origine du phénomène, je ne le pense pas : ce qu’elle a révélé de l’individu a été médiatisé, vulgarisé, extrait du secret et cela l’a rendu encore pus fragile, fragmenté.

 

Marc Bozec.

 

PS : Je tiens à remercier Thierry de son hypothèse, elle m’a donné un nouvel angle de réflexion concernant l’individu et la fragmentation.



22/04/2012
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