Externalisation des savoirs...24/12/12

La mouvance pédagogique actuelle repousse toute idée de transmission des savoirs au profit d’une démarche active de recherche de l’élève « acteur de sa pédagogie ». C’en est fini du maître dispenseur des savoirs à qui l’on demande aujourd’hui de s’effacer et qui a pour consigne, à l’école primaire, de ne pas frustrer la parole de l’enfant. Il semble d’ailleurs que l’on s’oriente vers une validation du « socle commun de connaissance » sur le registre d’un « savoir être » face au savoir, plus qu’un « savoir faire ». La différence est de taille !

En effet, quid des savoirs, des connaissances, de leur maîtrise, et de l’effort que nécessite leur apprentissage ?

La notion d’effort étant vécu comme frustrante, ne serait-ce que parce qu’elle porte en elle le risque de l’échec et de la frustration, il faut donc trouver le moyen d’une conservation des savoirs et de leur mise à disponibilité.

Plaisantant avec Pierrick Hamelin, il y a deux ans de cela, nous avions ébauché l’idée d’un « virtuélève » à qui il ne serait rien demandé d’autre que l’affirmation de ses potentialités (ce à la manière du Sarabindrana du sketch de Pierre Dac et de Francis blanche : « est-ce que monsieur peut le faire, oui ?, bravo ! Il peut le faire, on applaudit monsieur… »).

Ce virtuélève donc, qu’aura-t-il à faire de savoirs embarrassants, puisqu’on ne lui demandera plus de comprendre (cum prendere) mais de repérer les lieux et modalités de stockage de ces mêmes savoirs pour prétendre savoir les utiliser, les maîtriser ?

Et bien pas de problème, il suffit de les externaliser. Et les supports ne manquent pas grâce aux techniques de l’informatique. On stocke et on re-stocke, on sur-stocke sans même l’ombre d’une saturation, on multiplie les références (parfois contradictoires d’un support à l’autre), et voilà le savoir en lieu sûr…

Tout cela est fort séduisant et qui nous prépare avec allégresse au transhumain. Mais quid de l’humain actuel, de notre « nouveau sujet »dans tout cela ?

Il y a fort à parier que cela ne va pas lui faciliter la tâche, bien au contraire…

Le savoir extrait de sa  dimension symbolique n’est pas des plus simples à aborder, et l’éradication du rôle de la castration symbolique d’ordinaire dévolue au père risque de manquer cruellement à la construction d’éventuels individus, et compliquer leur rapport à la connaissance. Il ne s’agissait pas de couper quelques testicules que ce soit, mais bien d’accéder au langage et par là la connaissance pour grandir et couper le cordon qui lie à la mère.

Or cette externalisation des savoirs a un certain parfum de régression infantile : la corne d’abondance virtuelle, autre image d’une société par trop maternelle, ne va en rien éviter au nouveau sujet « l’auto-référenciation » évoquée dans de précédents articles. Elle va même la conforter sans doute jusqu’au désir de pure virtualité et quoi qu’il en soit provoquer une forme d’agressivité due à la complication relationnelle lorsqu’elle repose sur l’usurpation.

De plus, cette externalisation est une incitation à plus de fragmentation, encore une fois sur le mode réactif et défensif de la fuite, et je ne suis pas sûr que la fragmentation de la fragmentation ne nous conduise pas directement à une certaine forme d’anéantissement.

En parallèle, il est cependant intéressant de noter que la terminologie à la mode en termes d’apprentissage parle de mutualisation, de partage, de validation entre pairs. C’est assez curieux : plus on nomme les choses et plus on cherche à les faire disparaître : c’est là le fondement même du simulacre.

 

Tout externalisé qu’il soit, le savoir n’en sera que plus la cible de la fragmentation et du simulacre. Sans doute faudra-t-il vulgariser une autre notion : celle du simulacte qui devrait fort bien convenir à notre nouveau sujet !

Or donc, à vos faux-semblant et à vos parler-creux-sans-peine, car il semble bien que le temps se couvre…

 

Marc Bozec



24/12/2012
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