Evaluation, once again

Le nouveau « chantier » ouvert par l’éducation nationale est celui de l’évaluation. Perçue comme trop négative, frustrante, il s’agirait d’en faire un élément positif que l’élève pourrait s’approprier à des fins édifiantes, formatrices.

 Le présupposé reste, bien sûr, celui de l’élève « acteur de sa propre pédagogie », et donc mû par l’envie de réussir, de s’appuyer sur des constats formateurs pour produire le nécessaire effort qui « l’élèvera » dans une logique critique de la réussite.

Ce qui, encore une fois, est des plus paradoxal (mais le paradoxe en soi a-t-il encore droit de cité ?), c’est la présentation qui est faite d’une évaluation émancipatrice et édifiante alors qu’elle tente d’enfermer le sujet dans les rets de la norme tout en présentant les stigmates de la négociation.

Roland Gori définit la norme comme un « métarécit de légitimation sociale des savoirs et des pratiques » et il ajoute que « par la pseudo-objectivité quantitative et formelle de ses procédures, elle impose un mode de rationalité pratico-formelle pour penser le monde, soi-même, et autrui. »

(in "la fabrique des imposteurs)

Elle me semble être un aveu d’impuissance face à la fragmentation du sujet qu’elle prétend libérer alors même qu’elle cherche à l’aliéner, à le formater (et cela est particulièrement lisible dans le cadre de la formation des futurs professeurs des écoles).

Elle est par ailleurs, en entreprise, une procédure d’amalgame dans laquelle celui qui est évalué devient une variable de la rentabilité.

La forme, dans l’évaluation, est bien présente, omniprésente, mais il ne s’agit pas de former, mais d’emprisonner dans la forme : une sorte de forme matricielle exempte de tout risque, de toute responsabilité.

 Cette forme est celle-là même qui fait que le sujet se produit lui-même à flux tendu, produisant ainsi des fragments (fragments de soi, de l’autre, de sens et de non sens). Et ce sont ces mêmes fragments qui font et feront l’objet de l’évaluation.

Ces fragments sont alors érigés au rang de capital et le sujet devient une unité de production et de consommation de lui-même, ce sur le mode de l’excitation, de l’hyperactivité.

Ne va-t-on pas ainsi réduire encore plus l’expression possible de l’individualité, de la singularité ? Et à vrai dire, que va-t-on vraiment évaluer ?

Le sujet est somme toute condamné à adhérer à son propre désaveu, faute de quoi il pourrait s’abîmer dans la perspective d’une liberté devenue insupportable, puisque participant d’une revendication à la singularité assumée.

 

 L’évaluation semble alors n’être qu’une imposture institutionnelle, entrepreneuriale  à laquelle le sujet réagirait en exhibant le simulacre d’une unité brandie comme fétiche et en se fragmentant sur un mode compulsif.

 

Il est certes nécessaire d’évaluer, mais ne se trompe-t-on pas ici d’objectif ?

Ce chantier s’est ouvert au regard des constats peu élogieux des résultats obtenus par les élèves à différents niveaux : on a d’abord mis en cause la pédagogie, puis l’évaluation.

Je doute personnellement  que si le sujet apprenant n’est pas lui-même questionné on n’aboutisse à rien d’autre qu’à une méta-négociation qui emmêlera un peu plus l’écheveau jusqu’à rendre toute chose indécidable et vide de sens.

Et c’est peut-être bien une réflexion élargie sur la perte du sens qu’il faudrait mener de toute urgence…

 

Marc Bozec.



25/07/2014
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